Était-ce vraiment une bonne idée ? Quelle mouche avait bien pu le piquer... Il aurait pu attendre le lendemain, au lycée, pour le trouver et lui parler. Ça aurait été beaucoup plus simple. Là, cela faisait plus d'une heure qu'il le cherchait. Peut-être même deux. Le jeune homme soupira. Sur le coup il avait estimé qu'il était tant de le faire réagir car cela durait depuis trop longtemps déjà, bien qu'une journée de plus ou de moins n'aurait pas grand chose, pensa-t-il finalement. Mais cet après-midi, lors de l'entraînement, Fukushi avait été absent une fois de plus. Certains membres d'Inazuma Team semblaient s'être faits une raison, tandis que le capitaine de l'équipe, bien que certainement un peu inquiet, était persuadé que le milieu de terrain reviendrait tôt ou tard. Quant à Akira, sans en parler à personne d'autre, avait décidé à la fin de cet entraînement de trouver son "coéquipier" pour comprendre ce qu'il se passait. Il le connaissait peu, à près tout ils n'avaient dû jouer que deux ou trois entraînements ensemble. Il se doutait néanmoins que s'il ne venait pas, ce n'était pas par simple flemmardise. Il y avait sans aucune doute une véritable explication. Il voulait savoir laquelle.

Oh, il ne faisait pas cela par pur altruisme. Mais il ne pouvait pas laisser Fukushi dépérir en n'allant pas aux entraînements. Il était sûr qu'inconsciemment cela nuisait à toute l'équipe. De plus, il devait avouer qu'il était assez curieux. Son camarade l'intriguait. Ils étaient très différents et pourtant, ça lui rappelait parfois lui-même quand il était plus jeune et qu'il se montrait inaccessible et mystérieux avec tout le monde. Akira avait beaucoup changé mais il n'oubliait pas à quel point s'enfermer dans sa solitude pouvait être destructeur.

Enfin, il était peut-être temps d'arrêter ses recherches. Il n'était plus vraiment de bonne heure. Mais soudain, une idée jaillit de son esprit. Il y avait bien un endroit où il n'avait pas cherché. Il ignorait si le lycée était toujours ouvert à cette heure mais ça valait le coup de tenter. Si jamais Fukushi se trouvait sur le terrain de football d'Inazuma, comme Akira venait de l'imaginer, ça prouverait qu'il n'avait pas totalement abandonné le football. En quelques minutes à peine, il arriva au lycée et constata que le portail était encore ouvert. Alors discrètement, il s'engouffra dans l'établissement. En s'approchant peu à peu du terrain, il entendit des bruits de tir. Quelqu'un jouait. Il lui semblait même percevoir une voix. Espérons qu'il s'agisse de Fukushi, pensa-t-il.

Il attendit un peu avant d'apparaître devant le jeune homme. Pour l'instant, l'arbre cachait l'attaquant. Il entendait le garçon répéter : "c'est pas une vie". Mais de quoi parlait-il ? Il n'avait vraiment pas l'air d'aller bien, assailli par la rage et le découragement. Akira était surpris de voir son camarade dans cet état. Il avait certainement bien fait de venir. Enfin, pas sûr que Fukushi pense cela en le voyant débarquer. D'ailleurs, il se décida finalement à approcher et était désormais lui aussi sur le terrain de football. Son camarade venait apparemment de le remarquer. Le jeune attaquant d'Inazuma lui adressa un sourire indéchiffrable. Il décida de le provoquer pour le faire réagir car il n'allait pas le laisser se morfondre autant.

- Alors comme ça, tu joues encore au football ? Tu as pourtant l'air aussi mort que ce pauvre ballon. C'est triste de finir dans cet état, se moqua-t-il d'un air narquois.

Il décida d'attendre la réaction du jeune garçon avant d'en dire plus.

La taquinerie d'Akira ne semblait avoir plu à son camarade. Ce dernier se dirigea en effet vers le jeune homme aux longs cheveux verts, le regard aussi noir qu'effrayant. L'attaquant gardait un air impassible mais il comprit à cet instant que les choses ne se passeraient pas aussi simplement qu'il l'avait espéré. Il allait devoir trouver le moyen de pousser Fukushi a retourner aux entraînements mais sans aller trop loin vu la colère qui avait envahi son coéquipier. Ça promettait d'être compliqué... Il ne put réfléchir plus à tout ça puisque le jeune garçon l'attrapa brusquement par le col et malgré la différence de taille, il parvint à soulever légèrement Akira. Sa rage devait démultiplier sa force, déjà élevée en temps normal. Et comme il fallait s'y attendre, il n'avait pas du tout apprécié la moquerie, visiblement pas d'humeur à rire comme il le disait. Finalement, il lâcha Akira et le fit tomber au sol. Mais déterminé à ne montrer aucune émotion ou sentiment, le jeune attaquant se releva sans un mot.

Il ne fut pas étonné d'entendre son camarade lui ordonner de s'en aller. Ordre qui sonnait d'ailleurs comme une menace. Mais la scène qui suivit surpris Akira. Son coéquipier se prit la tête dans les mains, comme s'il était tiraillé entre sa souffrance et sa raison. L'attaquant détestait être témoin de cela en ne pouvant rien faire pour l'aider. Il ignorait pourquoi Fukushi souffrait autant. Et face à cela, Akira se sentait véritablement impuissant. Il avait rarement eu cette impression aussi forte. Mais la voix du milieu de terrain le tira une fois de plus de ses pensées. Il disait qu'il ne pouvait rien faire pour l'aider et qu'il devait partir. Il était toujours aussi menaçant. Le pire était qu'il avait sûrement raison. Mais le jeune homme aux longs cheveux refusait de le laisser. Il déclara alors, droit dans les yeux de son camarades et d'une voix calme mais pleine d'assurance :

- Je ne sais pas qui t'a donné la permission de me menacer mais sache que ce n'est pas comme ça que tu me feras partir.

Cette réplique ne plairait clairement pas à son camarade. Tant pis. Akira avait l'intention de jouer franc-jeu avec lui. Peu importe les risques qu'il prenait, il dirait honnêtement ce qu'il pensait.

- Et tu comptes vraiment te laisser moisir ainsi ? Parce que ce n'est pas très glorieux pour un footballeur comme toi.

Il fixait toujours intensément Fukushi, et aussi étonnant que cela puisse paraître : sans sourire moqueur. Il était plus sérieux que jamais. La voix neutre, le regard indéchiffrable et le visage impassible.

- Le football ne résoudra pas tes problèmes c'est certain, mais il te permettra de les oublier un instant. C'est déjà beaucoup, ajouta-t-il finalement, toujours aussi calme et imperturbable.

En disant tout cela, Akira craignait d'avoir franchi la limite. Fukushi était comme une bombe à retardement et ses quelques paroles du jeune homme avaient probablement accéléré le processus. Mais il n'avait pas d'autre choix. Akira pouvait se montrer très têtu. Il n'avait pas cherché son coéquipier pendant tout ce temps pour repartir juste après et l'abandonner dans cet état. Il devait le pousser coûte que coûte à reprendre courage, à retourner aux entraînements et à se battre. Il était conscient qu'en agissant ainsi, il jouait quitte ou double. Peut-être que cela allait empirer les choses au lieu de les améliorer. Peut-être aussi qu'il allait se prendre quelques coups. Or, il n'était pas vraiment résistant à la douleur et il ne doutait pas de la force de son camarade. De plus, même si cela arrivait, Akira ne répliquerait pas. Hors de question de s'en prendre à son camarade. Bref, pour le moment il préférait ne pas penser à tout cela. Mieux valait attendre la réaction de Fukushi.

De toute façon, c'était certain qu'Akira ne partirait pas.

L'expression qu'affichait Fukushi à cet instant n'avait rien de rassurant. Elle suffit à faire comprendre à Akira que les ennuis ne faisaient que commencer. La soirée risquait d'être longue et éprouvante. Pourtant il resta droit et immobile, fixant son camarade pour essayer de savoir ce qu'il comptait faire. Avec surprise, il vit ce dernier prendre le ballon dans un pauvre état et se tourner vers lui. Au vu de ses paroles et de son regard, il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'il allait lui tirer dessus. Les paroles du jeune attaquant d'Inazuma avaient apparemment aggravé la situation. Peu surprenant. Mais normalement, Akira serait capable d'arrêter son tir ou au moins de l'éviter. Enfin, il était loin d'imaginer ce qui allait se passer et gardait pour l'instant un air imperturbable.

En voyant les larmes couler le long des joues de son coéquipier, Akira se mordit inconsciemment la lèvre inférieure. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Il avait cherché à le faire réagir alors certes il l'avait provoqué mais il n'avait jamais eu pour intention de blesser autant Fukushi. Que faire ? Il n'eut pas le temps d'y réfléchir car il y avait un autre "problème" en vu, beaucoup plus urgent. Une étrange et effrayante créature s'était matérialisée au-dessus du milieu de terrain. Akira n'avait jamais vu un truc pareil. Ses yeux s'écarquillèrent tant il était médusé. Il ne pouvait pas détacher son regard du monstre qui semblait être l'incarnation de la rage et de la douleur de Fukushi. Rien n'aurait pu préparer le jeune homme aux cheveux verts à une telle chose. Cela semblait tellement surnaturel.

Le temps était comme figé. On croirait en plein cauchemar. Surtout que son camarade ne semblait avoir remarqué ce qu'il dégageait en ce moment-même. Il se mit d'ailleurs à hurler sur Akira et lui tira finalement dessus avec une violence inouïe. Le jeune homme vit le ballon foncer droit sur lui mais il était trop rapide pour pouvoir l'éviter ou faire quoi que ce soit d'autre. Il était de toute façon trop sous le choc pour pouvoir faire le moindre mouvement. Malgré lui, son cœur battait à une vitesse folle. Ce n'est qu'au bout de plusieurs secondes qu'il se rendit compte qu'il ne lui était rien arrivé. Le ballon, désormais complètement mort, s'était écrasé contre les vestiaires et y avait laissé une fissure impressionnante. Il préférait ne pas imaginer ce qu'il se serait passé si le ballon aurait percuté sa tête.

Akira contint tant bien que mal les émotions qui le traversaient en cet instant. Il devait rester calme et lucide s'il voulait aider Fukushi, car malgré tout il n'avait toujours pas l'intention de partir. Il était conscient de ne pas maîtriser la situation et détestait cela mais il ne pouvait tout simplement pas abandonner son camarade maintenant. Pas après tout ce qu'il venait de se produire.

- Je ne prétends pas savoir ce que tu traverses, déclara Akira sérieusement. Comment le pourrais-je alors que tu ne laisses personne t'approcher ? Mais s'il y a une chose dont je suis sûr c'est que te défouler aux entraînements plutôt que sur les autres serait mieux pour tout le monde. Toi le premier.

Après quelques secondes de silence, il fit quelques pas vers Fukushi qui avait le visage encore ruisselant de quelques larmes.

- Si mes paroles t'ont blessé j'en suis désolé mais tu ne comprends pas que je ne te veux aucun mal ?, soupira-t-il. Si je suis venu c'est pour que tu retournes aux entraînements. L'équipe a besoin de toi. Et, je crois aussi que tu as besoin de l'équipe. Plus que tu ne le crois.

Akira s'était excusé ? Même lui n'en revenait pas. Il faut dire qu'il n'avait jamais voulu en arriver là. Il se montrait le plus souvent provocateur et sûr de lui mais il n'était pas le genre à aimer faire souffrir. Surtout pas envers son camarade. Ils se connaissaient peu, même pas du tout, mais ils faisaient partie de la même équipe alors Akira le considérait vraiment comme son coéquipier. Il se doutait que Fukushi ne croirait certainement aucune de ces paroles mais il espérait que malgré sa haine, ce dernier se rendrait compte qu'il fallait qu'il reprenne les entraînements. Il repensa à ce qu'il venait d'arriver. Il ignorait ce que c'était ce "monstre" mais si Fukushi parvenait à canaliser et maîtriser ce pouvoir, il pourrait certainement devenir l'un des joueurs de football les plus redoutables. Cela attirait sa curiosité.

Mais maintenant qu'il avait parlé, qu'allait-il se passer ?

Au bout de plusieurs secondes, Fukushi se releva enfin et s'assit face au jeune attaquant en le fixant du regard. Sa colère semblait s'être apaisée. Comme si ce tir destructeur l'avait finalement ramené à la raison. Quel soulagement. Akira n'aurait enfin plus cette impression d'être un funambule marchant sur un fil pouvant céder à tout moment et provoquer sa chute. Il serait normalement plus aisé de discuter avec lui. Mais il se rendit vite compte que l'abattement de son camarade était toujours présent. Il ne voulait toujours pas revenir vraiment dans l'équipe et affirmait qu'on ne pouvait rien pour lui. Bien sûr qu'Akira ne pouvait pas l'aider puisqu'il ignorait totalement quels étaient les problèmes de son coéquipier. Mais il n'était toujours pas prêt à lâcher le morceau. Il devait aider Fukushi et trouver le moyen de le convaincre de revenir aux entraînements de l'équipe.

Son camarade continuait de parler tout en se relevant. Impassible, le jeune attaquant l'écoutait silencieusement. S'amuser ? Si c'était uniquement ce qui comptait pour Akira, serait-il ici en train d'essayer de faire revenir Fukushi et de lui redonner courage ? Il nous met tous dans le même panier, pensa le jeune homme en soupirant intérieurement. Comment lui ouvrir les yeux ? Cela semblait si compliqué... Fukushi semblait se sentir seul face au reste du monde. Et Akira ne savait plus vraiment quoi faire. Toutes ses paroles semblaient inefficaces contre la carapace impénétrable de son coéquipier. Malgré tout, il n'avait pas d'autre choix que de persévérer. Alors, il suivit le milieu de terrain qui se dirigeait vers la sortie du lycée. Enfin, ce dernier s'arrêta et s'adressa une dernière fois au jeune homme aux cheveux verts en lui disant adieu avec un sourire mystérieux sur le visage.

- Adieu ? Tu crois vraiment que je vais te laisser partir comme ça ? Tu as failli me défigurer le visage alors j'estime que tu pourrais m'accorder encore quelques minutes de ton temps, répliqua Akira mi-amusé et mi-sérieux.

Non, il ne pouvait vraiment pas laisser Fukushi partir comme ça. Il s'approcha d'un pas déterminé vers son camarade, ils n'étaient désormais plus qu'à un mètre l'un de l'autre. Tout en le fixant, l'attaquant protesta une fois de plus :

- Tu ne veux vraiment pas me faciliter la tâche... Je suis sûr qu'au fond de toi tu as besoin et envie de reprendre le football comme avant. Tu l'aimes autant que nous. D'ailleurs ce n'est pas mon football comme tu dis, mais notre football, à nous tous. Et non tu ne pourras pas gagner, ni tout affronter, seul. On a tous besoin des autres pour nous soutenir, nous aider à nous relever après les moments difficiles. Tu ne fais pas exception même si tu refuses de le reconnaître.

Après cette longue mais sincère réplique, un silence s'installa pendant quelques secondes. Puis, repensant aux paroles de Fukushi tout à l'heure, il ne put s'empêcher d'ajouter avec une lueur de tristesse dans le regard :

- On n'a peut-être pas autant de galères que toi mais tu ne devrais pas te fier aux apparences. Derrière une vie qui peut te sembler idéale, il y a souvent des zones d'ombres...

Akira savait qu'il avait de la chance par rapport à d'autres. Sa situation financière était plutôt bonne, même très bonne. Il n'avait pas non plus de problème de santé, de handicap, ou autre. Et il n'était pas totalement seul. La vie de Fukushi était certainement beaucoup plus difficile, alors il n'avait pas le droit de se plaindre et pourtant...au fond de lui, il aurait tellement voulu rien qu'un peu de reconnaissance et d'affection de la part de ses parents. Certains jalousaient sa situation financière plus que confortable, mais lui, il enviait tellement l'amour et l'attention que leur portait leur famille. Akira semblait totalement indépendant et adorer cela mais la réalité c'était que, comme les autres, il avait besoin de compter pour quelqu'un. Or, son père n'était jamais là, ne se rendant jamais compte quand son fils sortait ou non, et sa mère ne l'avait jamais désiré ni aimé. Au moins faire partie d'une équipe de football lui donnait l'impression de ne pas être si seul et de servir à quelque chose.

Mais, il tenta de se ressaisir. Ce n'était pas le moment de montrer la moindre de ses faiblesses à Fukushi. Et il espérait qu'enfin, ses paroles ne seraient pas vaines.